C’est avec une grande incompréhension que nous réagissons aujourd’hui à la décision répétée des Restos du Cœur d’interpréter leur charte d’engagement des bénévoles dans un sens qui permet d’exclure automatiquement ceux portant des signes religieux. Si l’engagement exemplaire et indispensable des Restos du Cœur auprès des plus démunis n’est plus à démontrer, cette posture excluante est dès lors incompréhensible.
Rappel des droits fondamentaux
Art. 9 de la Convention Européenne des droits de l’Homme : « (…) Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. (…) »
Confusion entre signes extérieurs et prosélytisme
Le droit est sans appel, le port d’un signe religieux est un droit et ne peut et ne doit pas être considéré comme une forme de prosélytisme ou volonté de convertir ou d’imposer ses convictions aux autres.
Une Charte d’engagement des bénévoles qui va à l’encontre de la fraternité
Les agents publics (et assimilés), en tant que représentants de l’Etat durant l’exercice de leurs fonctions, doivent au nom de la laïcité (séparation des Eglises et de l’Etat) être neutres. Néanmoins, la laïcité ne s’applique qu’à eux et à eux seuls. Depuis 2016, une disposition du code du travail permet également aux entreprises et associations qui le souhaitent d’intégrer une « clause de neutralité » dans leur règlement intérieur et ainsi restreindre l’expression des toutes convictions pour ses personnels. Néanmoins cette restriction ne peut s’appliquer que lors d’un contact avec la clientèle, et ne concerne que les salariés sous contrat et non les bénévoles.
Qu’en est-il alors pour les Restos du Coeur ? Dans une relation d’engagement entre une association et des bénévoles, il est possible de définir un cadre permettant de se mettre d’accord sur un socle commun de règles à respecter. Les concernant, il s’agissait de définir un cadre relatif à « l’indépendance complète à l’égard du politique et du religieux » et cela est compréhensible pour éviter toutes formes de récupération.
Les conséquences de nos cadres
Cependant, au delà de la question de la légalité, nous devons impérativement nous poser la question des objectifs que nous poursuivons. Ici, au lieu de parler d’indépendance vis-à-vis des « institutions » politique et religieuses, nous faisons l’amalgame avec les pratiques et spiritualités « individuelles ».
Considérer a-priori qu’un signe extérieur individuel (sans y accoler un comportement prosélyte avéré) remet nécessairement en cause « l’indépendance » à l’égard « du religieux » ne peut être une posture d’ouverture, de respect et d’inclusion. L’enjeu est de lutter contre tous les comportements prosélytes et de pression ou les paroles qui remettent en cause l’indépendance, pas les signes et vêtements, et les deux ne vont pas nécessairement de pair !
On ne peut pas défendre le droit à la dignité des uns d’un côté (les plus démunis) et renier les droits des autres (droit de porter un signe religieux, y compris les bénévoles) de l’autre.
S’ils n’ont aucune attitude ou parole liée à leur religion et qu’ils accomplissent leur mission : une femme portant un voile remette-elle en cause l’indépendance des Restos du Coeur lorsqu’elle vient bénévolement et individuellement donner de son temps pour aider les plus démunis ? La réponse est bien évidemment non.
Concernant la jeune femme bénévole s’étant fait exclure de l’association au motif qu’elle portait un voile, nous devons prendre en compte le climat islamophobe actuel pour comprendre la légitimité des réactions que cette exclusion a suscité. L’actualité le démontre chaque semaine, les femmes musulmanes portant le voile sont quotidiennement et systématiquement écartées de la vie en société. Cela ne peut plus durer.
Les Restos du Coeur, voulant se prémunir des récupérations, se sont retrouvés entraînés dans un cercle vicieux qui exclut plutôt qu’il ne rassemble, sûrement malgré eux.
Construire ensemble une société plus juste, plus respectueuse, plus inclusive
L’aide aux plus démunis ne connaît aucune religion, couleur ou sexe. Aucun prérequis n’est obligatoire si ce n’est celui de vouloir donner de son temps à ceux qui en ont besoin. Ces derniers ne s’attardent d’ailleurs pas sur les vêtements des aidants mais sur l’aide qu’on leur apporte.
Il n’est pas trop tard pour repenser l’interprétation de la charte d’engagement des bénévoles aux Restos du Coeur. Dans une société de plus en plus fracturée sur les questions de convictions religieuses et philosophiques, il nous paraît primordial d’apporter un peu d’apaisement afin d’inclure toutes les personnes de bonne volonté dans la lutte contre la précarité.
Ne tombons pas dans le piège de la division : les plus démunis ont besoin de toutes les françaises et français !
Le Bureau National